musée international de Machida ,Tokyo, du 24 au 30 avril 1990
Les sujets s’imposent au peintre comme des lieux communs à l’intersection de deux cultures. Le nu, par exemple, est peu représenté dans la culture japonaise. Mais chez Moline, il est dynamique et souvent violent, traité comme une nature vivante et récurrente, joyeuse, sans connotation morale, mais sans vulgarité ni banalité. La lumière et l’ombre sont des éléments constitutifs de l’oeuvre, comme partie intégrante de la vie. Le trait est vigoureux, à la fois débridé et contrôlé à l’orientale…
V. Kirszbaum, dans Génie des Arts, août 1989
“Parmi les peintures de Moline exposées au Musée Machida, il en est une dont le vue m’a fait immédiatement éclater de rire. Elle représente les corps nus d’un satyre et de deux jolies femmes toutes en rondeurs. La toile s’ intitule “Ukifune no maki” , le rouleau d’Ukifune. Ukifune est le nom d’une belle héroïne du dixième manuscrit du roman de Genji, l’Uji-juu-choo. Orpheline de son père Hikaru Genji, Ukifune avait été placée sous la protection du Général Kaoru. Or voici que le prince Niyonomiya, play-boy notoire, l’ayant remarquée, ne la lâche plus et la poursuit partout où elle va. La belle décida donc de se cacher dans un village isolé de la montagne jusqu’à ce que soient terminés les travaux du palais où elle doit vivre avec le Général Kaoru.
Un soir, un homme s’introduisit furtivement dans la chambre à coucher du refuge. Dans l’obscurité, persuadée d’avoir affaire au Général Kaoru, la princesse accueillit son protecteur. Or c’était Niyonomiya. Se rendant compte de son erreur, Ukifune fut brusquement déchirée entre sa fidélité promise au Général Kaoru et la passion éprouvée charnellement pour Niyonomya. Ne pouvant finalement choisir ni l’un ni l’autre, Ukifune décida alors de se jeter dans la rivière Uji où elle se noya. Telle est en gros l’intrigue du rouleau d’Ukifune.
Devant cette grande peinture de Moline basée sur les matériaux du roman de Genji, tous les Japonais se rappelleront immédiatement les images en rouleau du même roman de Genji peintes au douzième siècle. Mais les personnages nés sous le pinceau de l’artiste belge sont sensiblement différents des princes et princesses des peintres du Yamato, dont les yeux étaient réduits à un simple trait et le nez à un fin crochet. Ici, Niyonomiya brûlant littéralement de désir, franchit d’un bond le mur d’enceinte, la main tendue et les yeux rivés sur la belle. Assise au centre, Ukifune se tord sur soi-même, en proie à de folles et impures pensées. Scandalisée, sa dame d’honneur se tient à l’écart et fait semblant de ne pas remarquer l’attitude choquante d’Ukifune.
Sans doute n’ai-je pu m’empêcher de rire devant tant de différences par rapport aux vieilles peintures sur rouleau du roman de Genji. Mais en fait, ne retrouvons-nous pas ici aussi l’éternelle opposition entre les cultures occidentale et japonaise?”
Ayako HIRAO, écrivain et journaliste au Mainichi Daily News, Tokyo, 1990