un peu de philosophie …
INTRODUCTION
Les échanges avec le peintre Thibault Delferière sont toujours pour moi l’occasion de préciser ma pensée sur des aspects essentiels de mon travail. Son commentaire récent après sa visite sur ma page d’artiste de Singulart en est la dernière illustration. Suite à ses remarques pertinentes, je lui ai envoyé une reproduction d’une oeuvre de Thomas Hirschhorn, la “Spinoza Car” de 2009, qui me semble une image assez fidèle de mon propre monde mental, celui que je me suis bricolé jusqu’à la saturation à travers les années par l’ajout incessant d’images et de mots.
Thibault a raison, je suis tout à fait d’accord avec lui. Mes travaux vont dans tous les sens, et, le connaissant un peu, je comprends très bien que pour lui il y ait à boire et à manger, parfois du bon, souvent du moins bon ou du franchement “pompier Cabanel” qu’il déteste tant ça lui fiche des crampes. Il est vrai que je n’ai aucun principe unificateur ni de vision panoramique, que chez moi tout est sujet à digression en fonction des humeurs, pas de hiérarchie qui me permettrait d’établir un ordre de supériorité ou de quelconques priorités. C’est un peu comme dans les derniers mots de mon dernier livre à la fin du troisième récit de l’Enquête, quand les débris de l’avion qui vient d’exploser retombent dans la mer : “cadavres ou déchets, pour la mer, tout est bon, il n’y a rien à jeter”.
Ne sachant pas très bien ce que je suis ni où je vais, je mène une enquête sans fin pour essayer de me comprendre, et j’ai besoin pour cela de mes petites images et de mes petites histoires. Mon départ au Japon en 1973 a inauguré pour moi une sorte d’errance au bord de l’impensable. Impression d’avoir alors plongé dans l’inconnu, comme l’argonaute Boutès qui se jette à la mer pour rejoindre les belles créatures qui l’ont séduit. Depuis cette époque, je suis resté finalement très passif face à ce que je vis, à la merci de la succession incontrôlée de ces affects obscurs mais enchanteurs qui m’appellent toujours comme les Sirènes. Chaque moment est unique et imprévisible, avec quelque chose de vertical. Je me suis donc inventé volontairement une sorte de règle particulière : produire des fragments de ces moments qui passent, chaque fois différents de ceux qui ont précédés, concrétion de temps dans la matière que j’ai sous la main et que je travaille jusqu’à la saturation. Tout peut arriver, le plus tendre, le plus sauvage, le plus pur, le plus charnel, le plus éculé…
Pour cela sans doute que, depuis deux ans, je me tiens coi, confiné dans mon coin, seul, retiré timidement loin de la meute, comme les petits insectes dans le recoin de mes tableaux. Redoutant la vie sociale et l’existence collective avec l’impression d’être de trop à l’endroit où les autres respirent, je me suis fabriqué une sorte de petit paradis préservé où j’invite parfois une fée à passer. La dernière s’appelait Haruka. Une véritable fée philosophe avec une terrible sensibilité, une phénoménale énigme que j’essaie toujours de déchiffrer à l’aide des alphabets qu’elle m’a laissés, capable de rire en faisant l’amour avec des fesses électriques à faire brûler les âmes les plus chastes et les esprits les plus vertueux. Avec elle, j’ai été envahi d’images inattendues qui m’ont dévasté. Pendant quatre ans, Haruka aura été pour moi un formidable conducteur de résistance à l’origine de puissants court-circuits dans le temps et dans l’espace qui ont rendu à mes nuits toute leur beauté.