Shikidô ! 私の色道五十歩

Shikidô ! Le “chemin japonais des couleurs”, sensuel et érotique, où je me suis cherché et perdu, où je suis allé sans voix, sans argent, sans pouvoir. Dénudation progressive et perte de tout ce qui couvre et se croit soi. Absolument perdu dans ce qui n’a pas de ressemblance. Plus j’avançais sur ce chemin, et plus mon oeuvre cédait le passage aux hasards du temps, aux hasards de mes amours, aux hasards de mes perversions, aux hasards de tout ce qui me passait par la tête, aux hasards de tout ce que j’hallucinais, au hasard tout court. Je les recueillais tous, comme tels, comme la source de mes tableaux, comme une rêverie où j’aimais jouer, jouir et me noyer, comme ma faim de fragments sans début ni fin. L’oeuvre se créait alors sponte sua à l’écoute de ce qui passait en moi, de ce qui surgissait en elle poussé par une énergie prévivante datant d’avant elle-même

Extraordinaire achronie de mon destin. Le rêve, l’extase, la peinture, le désir ne connaissent pas le temps. Expérience qui n’est même pas intime, qui est hors sujet, comme tous les songes. Dans la peinture, le sujet est présent, mais à la troisième personne, comme un insecte égaré au milieu de l’image. Regard fixe du peintre, presque immobile, dans un lieu sans lieu, qui n’est pas sans temps mais reste soudain. Plénitude qui ne peut être pour ainsi dire vécue qu’après coup. La vision arrachant à sa sensation, elle arrache presque à son expérience. Shikidô : sortie hors du corps, du lieu, du temps, et même de la sensation pour se retrouver à la merci d’une densité fantôme en accord avec la désinence sexuelle féminine.